Je collectionne des morceaux de toi
Que j’attrape par ci par là
Je te reconstruis
Avec des morceaux de vie
Avec les yeux bleus
De cette inconnue
La voix rocailleuse
De cette vendeuse
Les gestes précis
D’une de mes amies
Le parfum d’enfance
De ma voisine d’en face
C’est fou
Mais je te vois encore partout
Et pourtant
Ça fait bien longtemps
Que je ne t’ai pas vu
Et que je ne te reverrai plus
Ce poème est né d’une perte
Je l’ai écrit à l’adolescence, vers mes 16 ou 17 ans.
À ce moment-là, j’étais en train d’apprendre à vivre avec une perte irréversible : la mort de ma mère. Un suicide. Pas une surprise, et pourtant un choc.
Elle avait tenté plusieurs fois… Et puis un jour, elle est allée jusqu’au bout.
Les jours qui ont suivi étaient pleins de ces gestes automatiques :
“Tiens, faut que je le dise à maman.”
Et puis… le mur du réel. Le vide. Le silence.
Alors, j’ai commencé à chercher des morceaux d’elle ailleurs. Dans les autres. Une façon de ne pas la perdre tout à fait.
Des fragments pour survivre au manque
C’est ça, le cœur du poème.
Ce réflexe étrange — que j’ai encore aujourd’hui — de reconnaître ses yeux dans ceux d’une inconnue, de retrouver l’écho de sa voix dans un accent rauque, de m’accrocher à un geste familier comme à une bouée.
Ce tic n’a jamais disparu.
Pourquoi je le partage aujourd’hui ?
Parce qu’écrire, c’est ça aussi : créer des ponts entre nos blessures, même discrètement.
Et parce que je sais que dans les silences de vos lectures, vous y mettrez aussi vos propres noms, vos absents, vos souvenirs.
Des morceaux d’elle dans l’invisible
Je ne reverrai plus ma mère. Et pourtant, parfois, j’ai l’impression de la croiser.
Dans un regard. Un parfum. Un mot.
Alors je continue de collectionner.